Texte: Ovide, trad. Danièle Robert, Actes Sud et Éthique et Lettres de Spinoza, traduction d’Émile Saisset
Mise en scène : Malte Schwind
Jeu : Naïs Desiles, Yaëlle Lucas,
accompagnéees de Malte Schwind et Mathilde Soulheban
Dramaturgie : Mathilde Soulheban
Régie lumière et générale : Anne-Sophie Mage
Construction & conception : Florent Seffart, Charlotte Le Floch et Malte Schwind
Poterie: Malte Schwind
Peinture: Simon Bouillaud et Malte Schwind
Accessoires: Sara Bartesaghi-Gallo et Sarah Anstett
Stagiaires : Thomas Colas, Capucine Vigier et Elise Plaza
SOUTIENS – MENTIONS – COPRODUCTIONS
COPRODUCTION: La Fonderie (Le Mans), Théâtre Antoine Vitez (Aix-en-Provence), Théâtre du Bois de l’Aune (Aix-en-Provence), Le Pôle Arts de la Scène (Marseille), Réseau Traverses – Association de structures de diffusion et de soutien à la création du spectacle vivant en région Provence Alpes Côte d’Azur.
ACCUEIL EN RÉSIDENCE: La Fonderie (Le Mans), Théâtre A. Vitez (Aix-en-Provence), Le Théâtre Joliette – Scène Conventionnée pour les expressions et écritures contemporaines (Marseille), La Déviation (Marseille), Maison Auriolles (Villeneuve-sur-Lot), Collectif 12 (Mantes-la-Jolie)
AIDES AU PROJET ET SUBVENTIONS: Ville de Marseille, Département des Bouches-du-Rhone, ART-SUD et Région PACA, Rouvrir le Monde, Relançons l’Été, DRAC PACA
De l’amitié
Sur-le-champ, des nymphes aux pieds nus apportèrent des mets
Sur les tables dressées puis, les plats enlevés, servirent le vin
Dans des coupes ornées de pierreries. Alors l’extraordinaire héros,
Regardant au loin la mer qui s’étendait devant ses yeux, pointa son doigt
Et demanda : “Quel est ce lieu ? “
La Cie En Devenir 2 approfondit avec Les Métamorphoses d’Ovide son éthique centrale et son projet de théâtre : construire un rapport amical entre spectateur.rice.s et comédiennes.
L’amicalité que nous recherchons n’est pas de la convivialité. Nous pensons que c’est précisément l’amitié qui permet d’élaborer des affects violents ou tristes. Devant un ami, on peut pleurer, on peut même l’insulter, le rapport de confiance continue à exister. Devant un ami, un parler vrai de soi-même semble possible. Nous pouvons nous livrer à un ami. Et nous ne surplombons pas l’ami, nous le regardons en face et nous élaborons les choses à égalité.
Jouer Les Métamorphoses, c’est en jouer beaucoup. Leur monde est foisonnant. Depuis le début nous cherchons à défendre la dimension épique du texte : il raconte beaucoup, longtemps, jusqu’à se perdre. Dans cette dynamique, nous avons eu besoin de garantir notre fraternité au public : c’est une épreuve à laquelle on l’invite, pas une performance qu’il devrait subir. Plusieurs stratagèmes sont alors déployés pour que l’attention et l’écoute du spectateur puisse se reposer et vagabonder. Il est invité à un repas ponctués de musiques populaires où se racontent Les Métamorphoses. Certaines sont racontées avec les mots d’Ovide, d’autres sont improvisées.
Les Métamorphoses
Mon intention est de parler de formes métamorphosées
En corps nouveaux ; dieux, qui avez pris part à ces transformations,
Inspirez mon entreprise et accompagnez ce poème
Qui, des origines du monde jusqu’à nos jours, est éternel.
Chez Ovide, et peut-être chez les romains en général, il n’y a pas de trouble inconscient, pas de trauma, tout est clair et les choses y arrivent parce qu’ils ne devaient arriver qu’ainsi. Pourtant, apparent paradoxe, elles auraient pu arriver autrement. Car rien n’est fixe. La seule chose stable est la capacité du monde à être transformé. Tout est métamorphose.
Aujourd’hui, à l’heure des discours identitaires figés, Les Métamorphoses d’Ovide travaillent le contraire. L’univers est dans une instabilité permanente. L’identité ne peut y être figée. Le monde est toujours en devenir, toujours pris dans un continuel engendrement. L’identité est obligée de se réinventer sans cesse. L’identité y est même cela : une chose en devenir. Elle n’est pas liée à l’appartenance à une quelconque catégorie. Niobé qui était humaine est métamorphosée en rivière ; Io en vache.
Cette puissance du devenir produit une vitalité immense. Le désir y est partout, c’est lui qui agit le monde. Ainsi, quand on lit Les Métamorphoses, on est amené à poser un regard neuf sur ce qui nous entoure. Ovide crée une jeunesse du monde. L’origine s’y raconte sans nostalgie ou mélancolie. Elle est de toute façon multiple, déjà métamorphosée d’autre chose. Ce qui nous précède est au même niveau, avec nous. Nous ne sommes pas surplombés ni par nos pères, ni par nos dieux, mais avec eux. Il n’y a pas d’au-delà. Les dieux descendent sur terre et les mortels traversent l’enfer ou montent au ciel. Le monde est un. Le monde est donc humain. Disponible et exposé dans sa totalité aux mortels.
Du repas
Le repas et le dispositif tri-frontal désacralise l’espace théâtral et brise la séparation entre artistes et spectateurs. Servir à boire et à manger, partager un repas, est un don simple qui construit un autre rapport social. Nous avons besoin de ce rapport pour sortir les mots d’Ovide d’une solennité ou révérence, pour les ancrer dans la simplicité d’un moment et les vivre.
En étant attablés tout autour d’un espace vide et en tenant haut un rapport amical et fraternel aux spectateurs, nous construisons quelque chose de la communauté qui vient (Agamben) non pas au nom d’une particularité d’une identité (sociale, ethnique, culturelle…) ni par un universalisme générique mais par le seul fait d’être là, en même temps, au même moment.
Deux imaginaires s’y côtoient : celui du banquet romain et celui de la cantine populaire.
Le spectateur est ainsi invité dans toute sa matérialité humaine. Le temps est rythmé par les plats et les musiques. Rien n’indique qu’il y a quelque chose à attendre de la succession de ces histoires.
Les banquets romains, apanage des classes dirigeantes, servaient des nourritures pleines d’artifices. L’illusion dont l’élite était friande allait jusque dans les plats (animaux farcis d’autres animaux…). C’est là que la comparaison s’arrête pour le spectacle : nous servirons des aliments, certes évoquant la méditerranée (pain, olives, vin), mais sans raffinement particulier. L’important sera que tout le monde mange à sa faim.
De l’ici et maintenant
Nous poursuivons avec ce dispositif la recherche d’une théâtralité immanente. Nous voulons dire par là que nous voulons faire en sorte que le lieu de l’énonciation des mots ne soit jamais fictif. Nous ne faisons jamais croire que nous sommes à Thèbes. On reste à la même place que les spectateurs, entre amis. Mais nous sommes convaincus que par l’évocation de l’ailleurs nous construisons ici et maintenant autre chose. La réalité est transformée. Mais c’est seulement si nous partons et ne quittons pas l’ici et maintenant concret que nous pouvons transformer cette réalité. Le repas aide à cela. Il nous ancre. Nous sommes attablés, nous mangeons, nous buvons et nous écoutons et regardons deux actrices. Thèbes arrive.
Nous lançons également une invitation aux équipes des théâtres à construire cette fête théâtrale avec nous. Nous imaginons des hôtes heureux de pouvoir servir aux invités à boire et à manger dans la simplicité d’une rencontre amicale. Il s’agira de célébrer la vie.
Ovide
Il a quarante ans quand il entame l’écriture des Métamorphoses, qui l’occupera jusqu’à sa mort. Immense poème épique (près de 12 000 vers), c’est le récit des “formes changeantes”, de la création du monde jusqu’à l’arrivée au pouvoir d’Auguste, émaillé d’une mythographie foisonnante : autour de deux cent métamorphoses sont racontées (opérées par les dieux principalement), en quinze livres. La variété des thèmes, la singularité de la construction, en font une oeuvre majeure autant dans le fond que dans la forme.
Long poème d’inspiration épique (il raconte l’histoire du monde), les tropes mythologiques ne sont au service d’aucun dirigeant : ce n’est pas pour chanter la gloire d’Auguste ou de Rome qu’il est constitué. Au contraire, ce sont histoires d’amour contrariées, ou batailles perdues qui font la matière du poème, ce qui fait dire à Danièle Robert, dont nous utilisons la traduction en français, que la seule injonction d’Ovide à ses lecteurs est “Sois libre”. Le souffle du poème est une mécanique d’émancipation.
Les Métamorphoses fera partie des textes fondateurs des traditions littéraires européennes. Depuis une trentaine d’années en France, Ovide est redécouvert. Considéré comme un poète mondain, l’ampleur de son oeuvre était minimisée et mal comprise. Grâce à de nombreux travaux philologiques et de traduction, le carmen perpetuum (chant éternel), nous est à nouveau accessible.
Du lyrisme
Faire une représentation des Métamorphoses, c’est convier les spectateurs à la fête qu’est ce poème, sans archéologie, ni ostentation, ni austérité inutiles.
Les comédiennes se partagent le texte et mènent à bien une vingtaine de récits, pour certains enchassés, en empruntant aux premiers comme aux derniers livres des quinze que comporte le poème. Il n’y a pas de ton privilégié. Thèbes, Troie, Rome, histoires d’amours, dans des forêts, morts dans des déserts, réflexions cosmiques (portées par Pythagore avec quelques ajouts de Spinoza à propos du corps et de l’imagination), et érotiques (portées par les dieux qui s’amusent), ce patchwork ne cesse pas. On passe, d’un vers à l’autre, d’un monde à l’autre. C’est ce à quoi travaille cette poétique.
Les comédiennes abordent cette traversée comme un récital : avec une perspective de chanteuse, de diva donnant un concert. On vient l’écouter et on vient la voir, son charisme est partie intégrante de sa performance, ses interventions entre les morceaux cimentent l’instant.
Nina Simone, en particulier son Live at Montreux (1976), est une référence importante du travail, par sa présence et son amplitude émotionnelle. Certaines chansons sont entamées sans y penser, presque méchaniquement, interrompues par une réflexion, ou un spectateur qui se lève, et soudain, quelque chose l’accroche, un moment fuyant, qu’elle saisit et explore, bouleversant tout en chantant.
Quel liant pour nos métamorphoses ? Nous avons commencé à écrire des transitions, qui sont devenues des trames d’improvisation pour les comédiennes (ce chantier est à affiner dans les prochaines semaines de résidence).
Mais le coeur du spectacle n’est pas de comprendre les histoires, c’est d’être affecté par elles, d’être touché par cette sensation de changement perpétuel, avec l’espoir et le désespoir qu’il charrie. Ce n’est pas une position didactique, c’est une position lyrique.
Des chansons d’amour (italiennes principalement), passées dans leur intégralité, parsèment le spectacle. Elles sont là pour aérer l’écoute, se dégourdir les oreilles et favoriser l’introspection joyeuse et tragique à certains convives, sans qu’un mot de ça soit échangé.
De l’ornement
Après trois semaines de répétition en mai, les pistes concernant les costumes et la scénographie sont en voie de concrétisation. La compagnie est actuellement en train d’échanger avec différents créateurs pour mener à bien leur conception et leur réalisation.
Les deux comédiennes prennent donc en charge des figures qui s’apparentent à des divas, des chanteuses lyriques en tenues de soirée, couvertes de bijoux et de maquillage. Elles changent trois fois de tenue. Un.e costumier.e sera nécessaire pour arrêter certains choix. Il s’agira d’évoquer sans faire époque, de trouver une opulence démesurée qui ne soit pas ostentatoire. Des perruques, très en vogue à Rome, ont également été évoquées.
Soutenues par ces artifices, elles vont et viennent entre leur table à maquillage et les spectateurs, longeant le U autour duquel ils sont installés. Le décor, une toile dorée (des couvertures de survie scotchées ensemble), s’étend derrière elles. L’élaboration de l’espace scénique (comprenant les tables où seront installés les spectateurs) est à préciser, une session de construction est à prévoir, afin de prendre en compte les différentes configurations dans lesquelles nous allons jouer.
La vaisselle est également un point que nous souhaiterions développer. Un service en céramique pourra faire partie des stratagèmes d’amitié développés envers chaque convive.
Création prévue pour septembre 2022
Critiques
« Raconter les métamorphoses, c’est être métamorphosé par le texte. Et à bout portant de l’acteur, le spectateur également, évoluant dans la fragile construction de ce qui peut se renverser, n’est pas seulement celui qui assiste au travail, plutôt celui qui l’accompagne, le rend possible — parce que lui aussi se métamorphose en métamorphosant son écoute. Scène et salle, en dehors de toute fusion, travaille ensemble à l’élaboration des devenirs. »
« Quel beau moment ! »
« Mais devant la grande couverture de survie orée qui sert de toile de fond à l’exécution du spectacle ; devant ce mur lumineux qui met le spectateur à proximité de l’âge d’or perdu, chacune et chacun étaient sans doute invités à questionner ce qui lui manque ou ce qu’il a perdu et c’est justement le spectacle qui lui offrirait. « Offrirait » dis-je, car il n’est d’autre verbe qui convienne mieux et précisément à l’humanité du geste de Malte Schwind pour ces Métamorphoses où le public attablé devant le vin, la moussaka, l’huile et le pain-maison (qu’il goûtera tout au long de la soirée) est moins un étranger qu’un ami invité et retrouvé le temps d’un théâtre d’hospitalité. Théâtre qui s’affronte aux illusions perdues et que seule la scène est à même de combattre en leur redonnant vie à mesure que s’effacera le jour sur la Déviation, quand dans la nuit l’onde et le souffle ovidien se feront entendre. »