Intention
Avec Robert Walser, j’ai pu, à nouveau ou pour la première fois,
me poser la question du bonheur. Me dire que c’était une
question valable, une question peut-être naïve, mais certainement
pas stupide. Me dire qu’il n’y avait aucun mérite d’être
malheureux. Qu’aucune idéologie pouvait justifier le malheur. Me
dire qu’il ne valait pas la peine d’être malheureux pour le théâtre,
pour faire du théâtre. Mais me mettre à la recherche « aussi
longtemps qu’il faut pour être convaincue à la fin que le bonheur
et le devoir existent et qu’ils ne font qu’un ! »
Le monologue de la sœur du personnage principale des Enfants
Tanner traverse une pensée du bonheur et une tentative
d’émancipation. Malgré les contradictions et ambivalence de sa
libération, quelque part, elle en sort guérie. À la fin de ce
« cauchemar », le bonheur existe, là, peut-être dans cette relation
qui s’est tissée, cet autre, ce « tu » qui l’écoute et qui lui apporte
le petit déjeuner au lit. À qui elle peut parler franchement,
ouvertement, avec qui elle peut partager ses questions et poser
des mots sur eux, leur relation. C’est une guérison spontanée,
mais non pas miraculeuse. C’est peut-être une guérison qui vient
du fait d’avoir pu traverser une pensée et la dire jusqu’au bout.
« Il faut bien une fois aller jusqu’au bout de ce qu’on veut dire »,
dit-elle. C’est en le disant, en l’adressant à un frère en face,
qu’elle peut faire ce travail. Un peu comme les héros des comptes
doivent traverser les pire épreuves, Hedwig Tanner traverse ses
tourments avant de reconnaître que le bonheur n’est pas ailleurs,
mais commence ici et maintenant.
J’ai choisi de monter ce texte en monologue. Il y s’agit d’un réel
chemin de pensée. Et cette pensée est réelle, c’est-à-dire qu’elle
agit sur les possibilité d’un monde. Et c’est une pensée qui a lieu
seule, devant nous, qui s’élabore à fur et à mesure.
L’adresse à Simon qui s’y trouve à plusieurs reprise en deuxième
personne singulier sera une adresse direct au spectateur. Le
spectateur sera Simon. Je voudrais que la comédienne trouve une
adresse directe à chaque spectateur, non pas à une masse d’un
public, mais une adresse qui prendrait ce soin de chaque
singularité. Quand elle dira au début du texte : « Tu es quelqu’un
qui donne envie de faire des aveux. », c’est chaque spectateur qui
se sentira visé.
C’est donc aussi un aveu. Un aveu de quelque chose qui serait des
plaques tectoniques intérieures en mouvement, quelque chose
qui fait bouger les lois de la perspective même. Cet aveu ne peut
pas être interrompu. Il doit se dire seul. Toute intervention, toute
réponse empêcherait de dire, de tout dire, d’aller au bout de cette
pensée. Simon sait cela. Il sait écouter. Le spectateur aussi.
« Quand on a quelqu’un comme toi pour écouter, on aime bien
raconter. Alors écoute : je suis décidée à abandonner ma carrière
à l’école, et cela très bientôt ; car je n’ai plus la force de
supporter la vie. »
Hedwig Tanner nous montre, nous dessine le chemin comment, à
nouveau, supporter la vie et finit peu-être par nous dire:
« maintenant , c’est à vous » .
Malte Schwind
janvier 2018
Critique de Yannick Butel: http://www.insense-scenes.net/?p=2018
Texte d’après Robert Walser
Mise en scène, adaptation et scénographie: Malte Schwind
Avec Nais Desiles
Lumière: Iris Julienne
Vidéo: Béatrice Kordon